À l'occasion de la journée internationale des droits des femmes, Me Mathilde Chadeyron, Avocate Associée au sein du cabinet Abeille & Associés a écrit un article sur "l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules".
La législation française à ce jour interdit l’AMP (assistance médicale à la procréation) aux femmes seules et couples homosexuels féminins. La France, au niveau européen, est l’un des pays qui limite le plus strictement l’accès à l’AMP, en la réservant aux couples hétérosexuels aux fins de remédier à l’infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué, ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité (article L 2141-2 du Code de la santé publique).
La procréation post-mortem est également interdite. Les lois de bioéthiques doivent évoluer avec les avancées de la science, tout en préservant l’intégrité du corps humain, et en respectant l’égalité de traitement.
Depuis la loi de 2013, le mariage a été ouvert aux couples de personnes de même sexes et l’adoption par le couple homosexuel est désormais possible. N’y a-t-il donc pas une violation du principe d’égalité, à empêcher le couple homosexuel féminin d’accéder à l’AMP ? De même, dans une société où la famille monoparentale est désormais acceptée et accompagnée par le législateur, interdire l’accès l’AMP aux femmes seules n’est-il pas discriminatoire ?
En vue d’une grande réforme des lois de la bioéthique, plusieurs avis ont été sollicités auprès d’organes consultatifs spécialisés. Le Comite Consultatif National d’Ethique (CCNE), dans un avis du 15 juin 2017, s’est prononcé en faveur de l’accès des couples de femmes et des femmes seules à la PMA. A également été abordée, la question de la possibilité pour les femmes de procéder à la conservation de leurs ovocytes pour envisager de futures grossesses, éventuellement tardives.
Pour sa part, le CCNE ne le recommande pas et souligne le risque de pressions sociales pour les femmes pour qu’elles retardent leur grossesse. Le Conseil d’Etat s’est également prononcé sur la révision des lois de bioéthique.
La Haute juridiction administrative a pu encore récemment affirmer que la législation actuelle, en réservant l’AMP aux couples hétérosexuels n’était pas contraire au principe d’égalité (CE 1ère et 4ème Chambre réunies, 29 septembre 2018 n° 421899). Pour le Conseil d’Etat, l’objet de l’AMP est à ce jour de remédier à l’infertilité d’un couple médicalement diagnostiqué. Par conséquent traiter différemment le couple hétérosexuel du couple homosexuel dans l’accès à la PMA s’expliquerait par l’objet même de la loi qui l’instaure.
Dans son avis du 11 juillet 2018, l’assemblée générale du Conseil d’Etat, consultée dans le cadre du processus du futur projet de loi de bioéthique, a rappelé qu’il n’existait pas de « droit à l’enfant » et que le principe d’égalité ne pouvait être invoqué dans ce domaine, pour qu’un tel droit soit reconnu. Mais rien n’interdit non plus au législateur, selon la Haute Juridiction, d’ouvrir l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Cela relèverait de l’appréciation souveraine du législateur.
Le Conseil d’Etat, sans grand enthousiasme donc quant à l’ouverture de l’AMP et la modification même de son objet, il ne s’agirait plus uniquement de remédier à l’infertilité d’un couple hétérosexuel, attire l’attention du législateur sur les conséquences d’un tel changement, notamment sur la filiation.
Comment instaurer la filiation d’un couple de femmes ? Après avoir étudié les différentes possibilités, le Conseil d’Etat préconise d’opter pour un mode d’établissement ad hoc pour les seuls couples de femmes. En voulant éviter un sentiment de recul aux couples hétérosexuels, si le législateur optait pour une filiation des enfants nés d’une insémination avec tiers donneur, que le couple soit de sexe différent ou de même sexe, le Conseil opte ainsi pour un mode had oc, stigmatisant comme une catégorie à part le couple de femmes.
Quant à l’autoconservation ovocytaire, le Conseil d’Etat en appelle là encore à l’appréciation souveraine du législateur, pour ne pas trancher, en présentant les arguments à charge et à décharge. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a également été consulté sur ces questions de bioéthique, dont nous n’abordons ici que quelques thèmes.
Dans son avis du 20 novembre 2018, la CNCDH s’est dite favorable à l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. La Commission s’est réellement positionnée sur la question, contrairement au Conseil d’Etat. Pour elle, refuser l’accès à la PMA aux couples de même sexe est discriminatoire. Pour cet organe consultatif, « l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires procède autant d’une consécration du principe d’égalité de traitement que de la cohérence de notre système juridique ».
La CNCDH considère que la différence invoquée par le Conseil d’Etat entre les couples hétérosexuels, qui cherchent à remédier à un problème d’infertilité ou de transmission d’une pathologie par la PMA, et les couples homosexuels, qui ne peuvent physiquement pas procréer, n’est pas pertinente. La Commission considère, que dans les deux cas le couple ne parviendra pas à concevoir un enfant sans l’aide d’un tiers et sans l’assistance de la médecine.
Pour la CNCDH il est dans l’ordre des choses d’ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires après la consécration législative du mariage pour tous le couples, ayant ainsi reconnu les couples de même sexes et l’homoparentalité, via l’adoption. En cas d’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, la CNCDH indique que le principe d’égalité ferait obstacle à ce que le remboursement par l’assurance maladie de la PMA soit réservé aux seuls couples hétérosexuels. Ainsi, la prise en charge devrait être mise en œuvre dans tous les cas.
Concernant la filiation, la CNCDH propose d’étendre le bénéfice de l’article 311-20 du Code civil aux couples de femmes, en supprimant les références aux différences sexuées. Ainsi le notaire ou le juge recueillerait le consentement du couple avant la réalisation de l’AMP. La femme qui accouche serait la mère de l’enfant et sa conjointe deviendrait la co-parente de l’enfant par présomption de co-maternité. Si le couple n’est pas marié, la compagne de la femme portant l’enfant donnerait son consentement préalablement au juge ou notaire, puis remettrait l’attestation de consentement à l’officier d’état civil Cela établirait un lien de filiation qui permettrait d’englober tous les couples, hétérosexuels ou homosexuels, ayant recours à la PMA.
En revanche, le recours à la PMA serait porté sur l’état civil, faisant ainsi perdre aux couples hétérosexuels la possibilité de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception. S’agissant enfin de la possibilité de l’auto conservation des ovocytes pour les femmes, la CNCDH plaide pour sa reconnaissance.
Néanmoins la Commission souhaite que cette reconnaissance ne soit pas perçue comme un encouragement à retarder sa grossesse. Elle prône donc une information ciblée et adaptée diligentée par les différents acteurs (médecins, plannings familiaux, etc), notamment sur les risques d’une grossesse tardives. En outre, elle préconise de poser des limites d’âge à l’autoconservation, comme un maximum de 37 ans, sans avoir d’avis tranché sur la fixation.
Nourrie de tous ces avis, la mission parlementaire sur la loi de bioéthique s’est dite favorable à l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, dans son rapport déposé le 15 janvier 2019. Le remboursement par la sécurité sociale serait également étendu à ces femmes. Cette extension aux femmes célibataires nécessiterait selon la mission parlementaire de lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon. L’autoconservation ovocytaire serait également consacrée.
Quant à la filiation, la mission parlementaire semble suivre la proposition de la CNCDH et propose de créer un nouveau régime pour les couples bénéficiant de la PMA, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels. Un projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres puis être examiné au Parlement avant l’été
Mathilde CHADEYRON, Avocate Associée Abeille & Associés.