Ce que nous mangeons dit ce que nous sommes. La France a la réputation dans le monde d’avoir une bonne cuisine, les Français sont très attachés à cette image de la France, les étrangers également. La nourriture, la gastronomie, ne sont pas seulement celles des restaurants, étoilés de préférence, ce sont également les pratiques quotidiennes des habitants. Si dans l’Antiquité on se préoccupait déjà de la qualité de la nourriture, il a fallu des siècles dans notre pays pour que des spécialités locales puissent s’imposer par leur qualité, qu’une reconnaissance soit donnée à des produits.

Car il ne suffit pas, aujourd’hui, que certaines personnes, chez elles, soient capables de faire de des plats gastronomiques, il faut que les produits de qualité puissent être accessibles au plus grand nombre possible de personnes, et que ces dernières puissent reconnaître ces produits à certains signes. D’où l’invention de ce que l’on appelle génériquement les signes de qualité et d’origine (SIQUO, ordonnance n° 2006-1547 du 7 déc. 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer), et qui sont représentés par différentes appellations et labels. Il faut y ajouter une labellisation intéressante, celle d’entreprise du patrimoine vivant (EPV).

Les signes de qualité

Il n’est pas très étonnant que ce soit dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation que l’on ait rencontré d’abord des labels publics, sachant que des labels attribués par des organismes privés ont précédé l’intervention de l’Etat. Celle-ci, qui pourrait paraître étrange, en ce domaine, s’explique à la fois par l’ancienneté du rôle de l’Etat, l’importance tout aussi traditionnelle de l’agriculture dans notre pays, la demande récurrente de protection de la part des populations associée à quelques scandales de produits frelatés qui émaillèrent l’histoire passée (ces tromperies aux conséquences parfois dramatique sur la santé se retrouvent dans les autres pays, y compris à notre époque : mieux vaut y éviter certains produits qui conduisent à l’hôpital, voire au cimetière).

Le code rural et de la pêche maritime comporte tout un titre sur « La valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer » (ordonnance de 2006 précitée). Selon l’article L. 640-2 du dit code, ces produits peuvent bénéficier, sous réserve qu’il n’y ait pas de contradiction avec la réglementation européenne, d’un ou plusieurs modes de valorisation. Trois catégories sont prévues par la loi. Les signes d’identification de la qualité et de l’origine sont représentés par : le label rouge ; l’appellation d’origine, l’indication géographique et la spécialité traditionnelle garantie, qui attestent la qualité liée à la tradition ; la mention « agriculture biologique », qui atteste la qualité environnementale et le respect du bien-être animal. Une deuxième catégorie est celle des « mentions valorisantes », représentées par : la mention « montagne » ; le qualificatif « fermier » ou la mention « produit de la ferme » ou « produit à la ferme » ; la mention « produit de montagne » ; les termes « produits pays » dans les collectivités d’outre-mer. La troisième catégorie est celle de « la démarche de certification de conformité des produits ».

Le « label rouge » est un signe de qualité institué en 1960, dans le cadre des grandes lois d’orientation agricole qu’a connues notre pays à cette époque, avec l’ouverture des frontières consécutive au « Marché commun » et la perspective pour l’agriculture française de nourrir toute l’Europe, ce qui advint effectivement pendant un temps, l’agriculture française devenant la première d’Europe (ce n’est plus le cas aujourd’hui).

Selon  l’article D. 343-21-1 du code rural et de la pêche maritime: « Peuvent bénéficier d’un label rouge les denrées alimentaires et les produits agricoles non alimentaires et non transformés./ Le label rouge atteste que ces denrées et produits possèdent des caractéristiques spécifiques établissant un niveau de qualité supérieure, résultant notamment de leurs conditions particulières de production ou de fabrication et conformes à un cahier des charges, qui le distingue des denrées et produits similaires habituellement commercialisés ». En revanche le label rouge ne garantit pas l’origine des produits.

Une denrée ou un produit autre qu’un produit vitivinicole ou une boisson spiritueuse peut cumuler un label rouge avec une indication géographique ou une spécialité traditionnelle garantie, mais non avec une appellation d’origine. Un label rouge ne peut comporter de référence géographique ni dans sa dénomination ni dans son cahier des charges, sauf si le nom utilisé constitue une dénomination devenue générique du produit, ou si le label rouge est associé à une indication géographique protégée enregistrée ou transmise aux fins d’enregistrement par les autorités administratives et si les organismes de défense et de gestion, reconnus ou ayant sollicité leur reconnaissance, pour le label rouge et l’indication géographique protégée concernés, en font expressément la demande.

Le concept d’appellation d’origine a été conçu au départ (début du vingtième siècle) pour lutter contre les fraudes et c’est ainsi qu’a été instituée, en 1935, pour les vins et les eaux de vie (appellation étendue en 1990 à l’ensemble des produits agricoles et alimentaires) l’ « appellation d’origine contrôlée » avec création d’un organisme, l’Institut national des appellations contrôlées, devenu ensuite (2006), sans changer de sigle (INAO) Institut national d’ l’origine et de la qualité, destiné à faire respecter la réglementation. L’appellation est ainsi devenue un signe de qualité de la production. Cette réglementation française est à l’origine d’une réglementation européenne. Celle-ci distingue notamment les « Appellation d’origine protégée » (AOP), qui correspondent à nos AOC, et les « Indication géographique protégée » (IGP) qui, comme leur nom l’indique, identifient des produits dont les qualités ou d’autres caractéristiques sont liées à l’origine géographique et sont donc intéressantes pour les produits provençaux qui bénéficient, du fait de ce seul qualification de « Provence » d’une image positive.

Les produits ayant le label AOC ont également, ce qui est logique, et dès lors que leurs producteurs en ont fait la demande, l’appellation AOP, les deux appellations étant cumulées. C’est le cas, en Provence, tout particulièrement pour les vins. Il y a en fait une double série d’appellations. La première est « générique », elle est représentée par deux appellations : vins de Provence ; vins des côtes du Rhône et de la vallée du Rhône. A cela s’ajoute une appellation générique IGP, beaucoup plus large : vins du sud-est. Mais les vins les plus recherchés, d’une qualité supérieure, sont ceux de la seconde série d’appellations, qui sont liées à une commune et portent le nom de cette commune. La Provence comporte de nombreux vins d’appellation AOC-AOP dont le nom est évocateur à la fois d’un lieu et d’un produit de qualité qui est recherché.

Il faut signaler particulièrement, s’agissant de la Provence, les vins rosés, parce que ces derniers sont associés, plus encore que les autres, à notre région. Ces vins rosés, autrefois de médiocre qualité, se sont beaucoup améliorés, peuvent être excellents, et ce sont les vins qui connaissent la plus forte augmentation à l’exportation, étant au surplus associés à des images de vacances, à un certain bonheur de vivre. On voit également, désormais, des producteurs s’affranchir de ces réglementations, mettre sur le marché des vins qui n’ont pas d’appellation parce qu’ils ne répondent pas à l’un ou l’autre des critères, tablant sur le « bouche à oreilles », le goût des consommateurs étant en définitive le critère déterminant.

Parmi les produits alimentaires de notre région on trouve également, en AOC-AOP, les huiles d’olives avec, en fonction de l’origine, huit appellations. Pour les fruits et légumes, il existe sept appellations, les unes en AOC-AOP, les autres en IGP, d’autres demandes d’appellations étant en cours. On trouve encore des viandes (trois appellations) soit en AOC-AOP, soit en IGP, ainsi que des miels. La consommation de miel augmente considérablement dans le monde, en raison notamment des vertus prêtées à ce dernier. La production n’est pas en mesure de satisfaire toute cette demande, d’où des produits plus ou moins frelatés provenant d’autres pays. Les appellations officielles sont une garantie pour le consommateur, ce que ne sont pas les appellations que se donnent des entreprises ou qui sont données par des organismes de complaisance.

Les « herbes de Provence » sont associées à la gastronomie provençale mais il ne s’agit là que d’une appellation générique (le label rouge existant garantit les proportions de plantes, mais non l’origine des plantes) car, d’une part, 10% seulement desdites herbes proviennent de Provence, les autres venant de multiples pays d’Europe, voire de Chine, d’autre part, les entreprises qui en vendent, et qui jouent sur l’image de la Provence, sont presque toutes sous contrôle étranger. En revanche le « thym de Provence » est une IGP contrôlée et protégée.

Les entreprises du patrimoine vivant

La notion d’entreprise du patrimoine vivant est consacrée par un décret du 23 mai 2006 relatif à l’attribution du label « entreprise du patrimoine vivant ». Le label est attribué à une entreprise « qui exerce une activité de production, de transformation ou de restauration ». En principe, les entreprises du secteur agricole, lequel bénéficie des modes de valorisation prévus à l’article L. 640-2 du code rural et de la pêche maritime, ne peuvent se voir attribuer le label « entreprise du patrimoine vivant » (EPV). C’est pourquoi on ne trouve pas de vins dans cette catégorie, en revanche les huiles d’olives peuvent être à la fois AOC-AOP et EPV du fait d’un savoir-faire et de procédés traditionnels.

Le label EPV est attribué par l’autorité compétente aux entreprises qui répondent au moins à un critère dans chacune des trois catégories suivantes :

  1. Critères relatifs à la détention d’un patrimoine économique spécifique : a) L’entreprise possède des équipements, outillages, machines, modèles, documents techniques rares ; b) L’entreprise détient des droits de propriété industrielle liés à ses produits, à ses services ou à ses équipements de production ; c) L’entreprise détient un réseau de clientèle significatif.
  2. Critères relatifs à la détention d’un savoir-faire rare reposant sur la maîtrise des techniques traditionnelles ou de haute technicité : a) L’entreprise détient exclusivement ou avec un petit nombre d’entreprises un savoir-faire indiscutable ; b) L’entreprise détient un savoir-faire qui n’est pas accessible par les voies de formation normales mais par celles dispensées par l’entreprise elle-même ; c) L’entreprise emploie un ou des salariés détenant un savoir-faire d’excellence, justifié soit par des titres ou des récompenses de haut niveau, soit par une expérience professionnelle de durée significative.
  3. Critères relatifs à l’ancienneté de l’implantation géographique ou à la notoriété de l’entreprise : a) L’entreprise est installée dans sa localité depuis plus de cinquante ans ou détient des locaux qui ont une valeur historique ou architecturale ; b) L’entreprise assure une production dans son bassin historique ; c) L’entreprise dispose d’un nom ou d’une marque notoire, notamment parce qu’elle bénéficie de distinction nationales ou fait l’objet de publications de référence, ou parce qu’elle intervient, soit sur des biens appartenant au patrimoine protégé au titre des monuments historiques, soit sur des objets ou des meubles estampillés ou permettant de perpétuer un courant stylistique de l’art français.

Le label est délivré pour une durée de cinq ans. La décision des ministres chargés des petites et moyennes entreprises (PME), du commerce et de l’artisanat d’attribution ou de refus du label est notifiée au demandeur. Le silence gardé pendant quatre mois par le ministre sur une demande d’attribution du label vaut décision de rejet.

On peut recenser dans la région PACA, dans le domaine de l’alimentation qui nous intéresse seul ici, 24 entreprises qui ont demandé et obtenu le label EPV, certaines ne couvrant qu’un produit, d’autres avec une certaine diversité. Les productions alimentaires concernées touchent aux domaines suivants : le café ; la chocolaterie (avec plusieurs entreprises) ; les confiseries, avec, comme l’on peut s’en douter, des entreprises qui se trouvent un peu partout en Provence et comme produits, plus particulièrement, les calissons, le nougat (avec 4 entreprises qui, dans notre région, ont le label EPV) ; les berlingots ; les dragées et perles argentées ; les fruits confits et les pâtes de fruits ; les confitures (4 entreprises) ; les fruits secs et pâte d’amande ; les fromages (mais avec un nombre d’EPV inférieur à celui que l’on trouve dans d’autres régions) ; naturellement, puisqu’il y a des savoir-faire et des pratiques traditionnels, le cumul avec l’appellation AOC-AOP étant donc possible, l’huile d’olive (avec plusieurs EPV) ; les pâtisseries ; les produits de la châtaigne ; la triperie (une entreprise sise, naturellement, à Marseille).

 

Par Jean-Marie Pontier,

Professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille

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